Kokopeli


« Libération des semences et de l’humus ».

Kokopelli est un personnage de la mythologie amérindienne souvent représenté bossu et jouant de la flute et qui symbolise la fertilité et la germination. C’est aussi le nom qu’a choisi une association française qui distribue, cultive et récolte des semences issues de l’agriculture biologique et biodynamique à travers le monde dans le but de lutter contre l’érosion génétique et de préserver la biodiversité semencière et potagère. En effet, ces actions doivent garantir un contrôle de qualité de la chaîne alimentaire.

Par Laurence Brassamin

Historique

Dominique Guillet, président fondateur, s’est engagé dès les années 80. Il a cofondé la société Deva, qui commercialise des élixirs de fleurs de Bach. Son but était de lutter contre la confiscation par les industriels des semences anciennes. Cet engagement a donné naissance au jardin botanique de La Mhotte et, en 1994, à l’entreprise Terres de semences, qui édite des catalogues de semences et les vend à des particuliers avec comme objectif la préservation de la biodiversité semencière.

Celle-ci permettait ainsi de mettre en valeur des plantes inconnues, comme les quinoas, les maïs doux, les amaranthes à grains et de proposer déjà une diversité de courges, de tomates, de piments, de basilic…

Le projet avait trouvé de bons échos et certaines de ces graines étaient achetées par des jardineries telles que Delbard ou la chaîne de magasin botanique.

Mais une partie de celles-ci n’étant pas inscrites au Catalogue Officiel [1], elles étaient, selon la législation française, illégales.

Face aux premières difficultés, naissance de Kokopelli

« C’est alors que les premières difficultés sont apparues avec la Fédération des Semenciers et le Ministère de l’Agriculture ; en 1997, un décret a été pris créant une liste de variétés amateurs ; l’activité de Terre de Semences était donc légalisé mais on nous « tuait » au passage car il fallait verser 220€ par variétés et nous avions l’interdiction formelle de vendre nos semences aux
maraîchers ou aux professionnels de l’agriculture » témoigne Jean-Marc Guillet, frère et collaborateur de Dominique Guillet.

En 1999, Dominique Guillet décide de créer une nouvelle entité, pour poursuivre ce projet sous un statut associatif : Kokopelli. Avec l’espoir de contourner les restrictions juridiques.

Celle-ci revendique le droit des générations futures de choisir leur alimentation dont la qualité ne peut être préserver qu’à travers une réappropriation de la diversité génétique et sa conservation ainsi
que par la promotion des pratiques agricoles et de jardinages durables. Les semences étant à la base de la chaîne alimentaire, il est primordial de préserver leur qualité. Cela implique une remise en question de l’hégémonie des semenciers et des multinationales de l’agro-industrie, qui conservent dans leurs mains la maîtrise du génie du vivant. Aujourd’hui cinq semenciers contrôlent 75% de la production mondiale de semences potagères, la palme d’or revenant à Monsanto.

Un engagement pour la préservation de la diversité semencière et potagère

L’association s’est fixée comme objectifs :

  • de contribuer à la sauvegarde de la biodiversité planétaire
  • de rendre accessible aux jardiniers européens des variétés anciennes de plantes et en particulier des variétés potagères, devenues rares
  • de redonner des semences traditionnelles aux paysans du Tiers monde (Inde, etc.)
  • de favoriser la naissance de réseaux paysans pour préserver la culture de variétés anciennes et de semences traditionnelles dans le Tiers monde
  • de mettre en place des centres de ressources génétiques dans le Tiers monde
  • de préserver l’existence des semences non OGM et l’agriculture paysanne

Sont ainsi produites, échangées, vendues, données plus de 2700 variétés de semences identifiables dans l’ouvrage « semences de Kokopelli ». Au sein de ces échanges on compte plus de 200 000 sachets de graines distribuées aux pays du tiers monde. A titre indicatif on y trouve un peu plus de 550 variétés de tomates, 300 variétés de piments doux et forts, 130 variétés de laitues, 150 variétés de courges, une cinquantaine d’aubergines, etc. Si on compare ces chiffres à la diversité du monde vivant (2600 variétés de tomates sont inscrites au catalogue européens des variétés et espèces, près de 5000 variétés de pommes de terres seraient cultivées dans le monde, etc.) ils paraissent dérisoires. Il n’empêche qu’en comparaison de l’offre communément proposée dans les supermarchés, elle reste exceptionnelle, notamment en raison des variétés proposées, certaines étant menacées d’érosion génétiques.

En termes de répartition géographique, les semences sont implantées sur l’ensemble du territoire pour minimiser les risques climatiques et favoriser les régions qui leurs sont le plus appropriées.

Une multiplicité d’acteurs

Pour mener à bien ce projet, l’association s’appuie sur un grand nombre d’acteurs.

Elle comptabilise plus de 5500 membres adhérents. Parmi ceux-ci on distingue :

  • l’équipe d’Alès qui constitue le noyaux central
  • des producteurs paysans/jardiniers qui participent à l’approvisionnement en graines. Ils sont répartis en France et à l’étranger. En Suisse se trouve l’association Sativa spécialisée dans la production de semences biodynamiques, en Italie sont produites une vingtaine de variétés en bio, certaines semences proviennent aussi d’Angleterre et occasionnellement des USA
  • des bénévoles qui participent à la préparation des séminaires, à des expos, à l’organisation de bourses de semences, à l’animation de conférences, etc.
  • des personnalités : le président-fondateur Dominique Guillet, Pierre Rabhi (agriculteur, homme politique, écrivain- penseur reconnu pour avoir développé le concept d’oasis en tous lieux) qui est aussi son vice président, Jean Pierre Guedon de Dives (président de la fondation pour une Terre Humaine qui a pour vocation de soutenir le travail des associations de défense de l’environnement en leur accordant des subventions), Jean Pierre Berlan (aronome, ancien directeur de recherche à l’INRA), Maurice Chaudière (reconnu pour ses connaissances en arboriculture et en apiculture) et Isabelle Susini (responsable environnement de la Fondation Patagonia, pionnier de l’éco-design et des vêtements en fibres naturelles).

En Paca, l’association est soutenue par de nombreux adhérents notamment par la communauté de Longo Maï. Deux producteurs des Alpes Maritimes, Alain Carter et Heidrun Koelher fournissent aussi des graines.

Une implantation internationale

D’un point de vue géographique, l’association est implantée sur l’ensemble de la planète. Elle est ainsi constituée de plusieurs antennes. Schématiquement son fonctionnement se divise entre l’Europe/ Amérique du Nord et le reste du monde.

Le siège social d’Alès, noyau central de l’association

Y sont employés 20 salariés à temps plein. Plusieurs pôles d’activités y sont regroupés :

  • La gestion du stock des semences. Les semences sont envoyées par les producteurs à l’antenne d’Alès où est vérifié la qualité et testé la germination.
  • L’ensachage et l’impression des sachets.
  • La préparation des commandes de semences, aussi bien des particuliers que des collectivités, en France et à l’international.
  • L’administration de la structure : planification des séminaires, stages, salons et foires biologiques, gestion du site Internet et de la boutique en ligne.
  • La gestion de la vie associative et du comité de soutien.
  • La gestion de la campagne de parrainage. Celle-ci a été lancée en 2002 pour la conservation vivante d’anciennes variétés, rares ou même en voie d’extinction. Les adhérents qui souhaitent participer à cette opération choisissent une espèce à parrainer (Ex : tomate, choux, piment…). Kokopelli choisit ensuite la variété (Ex : « Rouge de Russie », « Belle Angevine »…). Le parrain s’engage à en prendre soin dans son jardin, à reproduire des semences et à en envoyer une partie à Kokopelli. Les récoltes sont centralisées au local de Kokopelli à Alès. Seules les semences correspondant aux exigences de « pureté variétale » et issues de pratiques culturales agro-écologiques sont conservées. Kokopelli les redistribue ensuite gratuitement à des paysans du tiers-monde.
  • La gestion de la campagne « Semences sans frontières » s’inscrivant dans une logique de solidarité Nord-Sud. Ainsi depuis l’an 2000, Kokopelli est aussi présente dans le tiers-monde. Elle a initié cette campagne grâce aux dons financiers qu’elle perçoit avec lesquels l’association achète des semences biologiques. Elle les expédie ensuite vers les communautés rurales des pays pauvres. L’objectif est de leur donner des semences reproductibles, ni hybrides F1, ni OGM afin de les aider à retrouver une autonomie semencière.

    Aujourd’hui, ce sont près de 950 communautés ou associations rurales qui ont bénéficié de ces colis semences. Plus de 200 000 sachets de semences ont été envoyés en 2010.

Le fonctionnement à l’échelle de l’Europe et de l’Amérique du Nord

En Europe / Amérique du Nord, une partie des actions s’inscrit dans une démarche commerciale. Ainsi une partie des variétés est vendues tandis qu’une autre est basée sur de l’auto-production et de l’échange de semences entre adhérents, près de 6000 aujourd’hui.

Cette offre est divisée en deux gammes que sont la gamme « boutique » et la gamme « collection ». La gamme boutique est la gamme traditionnelle de semences accessibles à tout un chacun. Une quinzaine producteurs alimentent celle-ci. La gamme collection regroupe des centaines de variétés potagères très peu cultivées, peu connues et parfois même littéralement en voie d’extinction. Les semences de cette gamme sont principalement produites par les adhérents–jardiniers eux-mêmes. Cette gamme est accessible gratuitement aux adhérents actifs, bienfaiteurs, ainsi qu’à tout autre adhérent fortement impliqué dans la production de semences.

Outre Alès en France, l’association comptabilise quatre antennes en Europe : en Belgique, en Italie, en Allemagne et en Angleterre. Il s’agit de distributeurs qui vendent les sachets de semences Kokopelli dans leurs boutiques, dans les foires et les salons biologiques.

Certaines semences proviennent aussi des États Unis. Pour ces dernières l’association omet la mention bio malgré que toutes ces semences soient certifiées bios par des organismes US (Oregon Tilth, OCIA, etc.) car il n’existe pas d’équivalence automatique entre les homologations nord-
américaines et européennes et qu’ils ne souhaitent pas entamer de procédures extrêmement compliquées pour obtenir ces homologations

Une solidarité Nord – Sud

Dans la zone « reste du Monde », les actions s’inscrivent dans une autre démarche non mercantile s’appuyant sur des projets d’échanges de graines, de création de banques de semences communautaires et d’appui à la création et au développement de techniques agro-écologiques.

L’association est ainsi présente en Inde, au Népal, au Bhoutan, au Mali, au Burkina Faso, au Sénégal, au Niger, au Brésil et au Costa Rica.

Un activisme qui dérange l’agro-industrie et les semenciers

L’association a été poursuivie par l’état français, plus précisément par le ministère de l’agriculture ainsi que ses acolytes la GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants-organisme hybride public-privé) et par la FNPSP (Fédération Nationale des Professionnels de Semences Potagères et Florales) qui ont gagné leur procès.

Les poursuites ont été initiées en 2004. On reproche notamment à Kokopelli de commercialiser des semences non inscrites au catalogue officiel. Celui-ci est un document officiel du ministère de l’agriculture listant les variétés étant habilitées à être commercialisées. Or il semblerait que celui-ci favorise l’inscription de semences hybrides, autrement dit issues de l’agro-industrie, ayant la particularité d’être difficilement reproductibles et impliquant souvent l’utilisation d’intrants chimiques. Or, ces conditions entrent en contradiction avec les objectifs de l’association.

Suite à cette poursuite judiciaire, le président Dominique Guillet est relaxé en 2006 au motif d’incompatibilité entre la réglementation française et la directive communautaire de 1998. En effet, celle-ci prévoit un assouplissement pour permettre l’inscription au catalogue de variétés dites « de conservations » c’est à dire de variétés anciennes menacées d’érosion génétique. Son but est donc de participer à la sauvegarde de la biodiversité agricole.

Suite à cette décision, l’État fait appel fin 2006. La GNIS et la FNPSP se portent parties civiles. Kokopelli forme alors un pouvoir de cassation.

Mais après une lutte de près de deux ans, l’association se voit condamnée à 24000 euros d’amendes et a essuyé près de 90 000€ de frais judiciaires.

Ce que l’on retient de ce procès, outre le pouvoir des lobbies agro-indutrielles c’est l’antagonisme de la réglementation française avec la diversité des modes d’activités et de productions agricoles.
Malgré ces difficultés, « l’association va poursuivre son combat contre ceux qui détruisent notre mère la Terre » (Jean-Marc Guillet).

LB

Laurence Brassamin est diplômée de sciences géographique, mention « mondialisation et développement », elle recherche un emploi d’animatrice de réseau.

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Contact :

Kokopelli,

Oasis – 131 Impasse des Palmiers 30319 ALES CEDEX

04 66 30 64 91 communication@kokopelli.asso.fr


[1] Le Catalogue officiel définit une liste de variétés de plantes cultivables, distribuables et commercialisables

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